lundi 16 octobre 2017

Responsabilité administrative et fait d'un tiers : pas d'obligation in solidum

Concl. Marion, AJDA 2017, p. 1966.

Conseil d'État

N° 393288   
ECLI:FR:CECHR:2017:393288.20170719
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
5ème - 4ème chambres réunies
M. Jean-Dominique Langlais, rapporteur
Mme Laurence Marion, rapporteur public
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET ; SCP MONOD, COLIN, STOCLET, avocats


lecture du mercredi 19 juillet 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) a demandé au tribunal administratif de Saint-Denis de condamner, sur le fondement de l'article 706-11 du code de procédure pénale, la commune de Saint-Philippe (La Réunion) à lui rembourser la somme de 50 471,68 euros qu'il a versée à la représentante légale de l'enfant Daniel Potonie en réparation des dommages ayant résulté de l'accident survenu le 18 mai 2006 à l'école du Centre de Saint-Philippe. Par un jugement n° 1200769 du 9 janvier 2014, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 14BX01234 du 8 juin 2015, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la commune de Saint-Philippe contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 septembre et 7 décembre 2015 et le 29 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Saint-Philippe demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge du FGTI le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de la commune de Saint-Philippe et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.




1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 18 mai 2006, Daniel Potonie, âgé de huit ans et scolarisé à l'école du Centre de Saint-Philippe (La Réunion), a été grièvement blessé à l'oeil droit du fait d'un jet de badame, fruit à coque dure du badamier, par un autre écolier âgé de onze ans, pendant la pause méridienne ; que le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) a conclu une transaction avec la représentante légale de la victime et lui a versé une somme de 50 471,68 euros en réparation de l'intégralité des dommages ayant résulté de cet accident ; que, saisi par le FGTI subrogé dans les droits de la victime, le tribunal administratif de Saint-Denis a, par un jugement du 9 janvier 2014, condamné la commune à rembourser à ce fonds les sommes versées en exécution de cette transaction ; que la commune de Saint-Philippe se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 8 juin 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté son appel contre ce jugement ;

2. Considérant, en premier lieu, que, pour juger que l'accident était directement imputable à un défaut de surveillance de la part du personnel communal, la cour administrative d'appel a relevé que si, quelques minutes avant l'accident, un agent de sécurité employé de la commune, puis le responsable de l'équipe de surveillance de l'école, étaient intervenus à deux reprises pour faire cesser les jets de badames, au moins onze surveillants étaient présents dans la cour de récréation au moment des faits, dont quatre sous les badamiers, et qu'ils étaient avertis de ce que des élèves ramassaient des fruits pour les lancer ; qu'elle a pu en déduire sans erreur de droit ni erreur de qualification juridique que les agents municipaux n'avaient pas correctement assuré la surveillance qui leur incombait ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que la cour a pu sans erreur de droit juger que la commune n'était pas fondée à invoquer la violation des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui serait résultée de ce que l'expertise médicale de la victime n'avait pas été réalisée de façon contradictoire, dès lors que ce caractère non contradictoire ne faisait pas obstacle à ce que le juge du fond tienne compte du rapport de l'expert au même titre que de l'ensemble des pièces versées au dossier ;

4. Mais considérant, en troisième lieu, qu'après avoir retenu l'existence d'un lien direct entre le dommage et un défaut de surveillance par le personnel communal, qui n'avait pas su empêcher le geste de l'écolier à l'origine de l'accident, la cour, pour rejeter les conclusions subsidiaires de la commune tendant à ce que sa responsabilité soit atténuée à hauteur de 75 % en raison de la faute commise selon elle par cet écolier, a jugé qu'une telle faute ne pourrait avoir aucune influence sur la responsabilité de la commune à l'égard de la victime et serait seulement de nature à lui permettre, si elle s'y croyait fondée, d'exercer une action récursoire contre l'écolier en cause ; qu'en statuant ainsi, alors qu'elle devait apprécier si et dans quelle mesure le comportement d'un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage était de nature à atténuer la responsabilité de la commune, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt doit être annulé en tant seulement qu'il se prononce sur les conclusions subsidiaires par lesquelles la commune de Saint-Philippe demandait à être partiellement exonérée de sa responsabilité ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

6. Considérant que, le 18 mai 2006, le jeune A...a été blessé dans la cour de récréation de l'école du Centre de Saint-Philippe par un badame, fruit à coque dure, lancé par un autre enfant, âgé de 11 ans ; qu'ainsi que l'a relevé le tribunal pour enfants de Saint-Pierre dans le jugement du 21 octobre 2009 par lequel il a prononcé la relaxe de l'auteur du jet, il n'est pas établi que ce geste ait été inspiré par une volonté de nuire ; qu'il résulte de l'instruction, notamment des auditions des principaux intéressés par la gendarmerie nationale, que le jeu consistant à lancer des badames était pratiqué de manière habituelle par plusieurs enfants ; qu'il avait, ce jour-là, commencé avant l'arrivée de la victime sur les lieux ; que les élèves concernés étaient, au moment des faits, placés sous la responsabilité de onze surveillants qui, bien que conscients des risques de cette pratique, se sont abstenus d'y mettre fin pour se regrouper à distance des enfants ; que si deux membres du personnel de l'école ont, peu avant l'accident, enjoint à l'auteur du jet d'interrompre son jeu, cette intervention purement verbale est restée sans suite ; que, dans ces conditions, eu égard, d'une part, au jeune âge de l'auteur du jet et au caractère non intentionnel de son geste, d'autre part, au défaut de surveillance fautif du personnel de l'école du Centre, il y a lieu de retenir l'entière responsabilité de la commune de Saint-Philippe dans le dommage subi par la victime ; que la commune de Saint-Philippe n'est, par suite, pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Denis a écarté tout partage de responsabilité en mettant à sa charge la réparation de l'intégralité des dommages de Daniel Potonie ;

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Saint-Philippe une somme de 3 000 euros à verser au FGTI au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge du FGTI, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 8 juin 2015 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé en tant qu'il se prononce sur les conclusions subsidiaires par lesquelles la commune de Saint-Philippe demandait à être partiellement exonérée de sa responsabilité.
Article 2 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la commune de Saint-Philippe est rejeté.
Article 3 : La commune de Saint-Philippe versera une somme de 3 000 euros au FGTI au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Saint-Philippe au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Philippe et au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.




Analyse

Abstrats : 60-04-02-02 RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE. RÉPARATION. CAUSES EXONÉRATOIRES DE RESPONSABILITÉ. FAIT DU TIERS. - OFFICE DU JUGE - OBLIGATION DE RECHERCHER SI ET DANS QUELLE MESURE LE FAIT DU TIERS AYANT CONCOURU À LA RÉALISATION DU DOMMAGE EST DE NATURE À ATTÉNUER LA RESPONSABILITÉ DE LA PERSONNE PUBLIQUE [RJ1].

Résumé : 60-04-02-02 Cour ayant retenu l'existence d'un lien direct entre le dommage et une faute du personnel communal puis, pour rejeter les conclusions subsidiaires de la commune tendant à ce que sa responsabilité soit atténuée à hauteur de 75 % en raison de la faute commise selon elle par un tiers, ayant jugé qu'une telle faute ne pourrait avoir aucune influence sur la responsabilité de la commune à l'égard de la victime et serait seulement de nature à lui permettre, si elle s'y croyait fondée, d'exercer une action récursoire contre ce tiers.... ,,En statuant ainsi, alors qu'elle devait apprécier si et dans quelle mesure le comportement d'un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage était de nature à atténuer la responsabilité de la commune, la cour a commis une erreur de droit.



[RJ1]Cf. CE, 29 juillet 1953, Epoux Glasner, p. 427 ; CE, 9 novembre 2016, Mme,et Ministre des affaires sociales, de la santé et des droits de l'homme, n°s 393902 393926, aux Tables sur d'autres points.  

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