jeudi 7 août 2014

Présomption de propriété d'Orange FT sur des installations de communications électroniques

Voir note Martin-Lavigne, AJDA 2014, p. 1607.

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 9 avril 2014
N° de pourvoi: 13-15.608
Publié au bulletin Rejet

M. Charruault, président
Mme Canas, conseiller rapporteur
M. Sudre, avocat général
Me Ricard, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat(s)


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Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 5 février 2013), que soutenant que le Syndicat intercommunal d'énergie et de e-communication de l'Ain (le SIEA) avait, sans son autorisation, déployé des câbles de fibre optique dans les chambres de tirage et fourreaux lui appartenant, situés sur le territoire des communes de Châtillon-en-Michaille, Crozet, Divonne-les-Bains, Gex, Giron, Lhôpital et Vesancy, la société Orange, anciennement dénommée France télécom, a saisi les juridictions de l'ordre judiciaire pour obtenir le retrait de ces câbles ; que le SIEA a prétendu que les infrastructures de génie civil en cause dépendaient du domaine public communal et sollicité qu'il soit sursis à statuer jusqu'à ce que soit tranchée par la juridiction administrative la question de la légalité des conventions conclues entre les communes de Vesancy, Giron, Lhôpital et Crozet et la société France Télécom et ayant, selon lui, irrégulièrement transféré à cette dernière la propriété desdites infrastructures ;

Attendu que le SIEA et les communes de Crozet, Divonne-les-Bains, Gex, Giron, Lhôpital et Vesancy font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes de question préjudicielle et sursis à statuer, constater que la société France Télécom est propriétaire des infrastructures de génie civil situées sur le territoire des communes précitées, constater que le SIEA a implanté sans droit ni titre ses câbles de fibre optique dans ces infrastructures et endommagé celles-ci, ordonner au SIEA de retirer, sous astreinte, ses câbles de fibre optique des infrastructures situées sur les territoires des communes de Crozet, Gex, Giron, Vesancy et Lhôpital, autoriser la société France Télécom, à défaut pour le syndicat d'y avoir procédé dans le délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la signification de la décision, à faire procéder, au-delà de ce délai, à l'évacuation des installations occupées par le SIEA et à leur remise en état sous le contrôle d'un huissier de justice aux frais du SIEA, condamner le SIEA à payer à la société France Télécom les sommes de 723,96 euros au titre des frais de remise en état des infrastructures de génie civil situées sur le territoire de la commune de Divonne-les-Bains, 40 275,43 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par l'occupation sans autorisation, la saturation du réseau et les dégradations causées aux installations et 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors, selon le moyen :

1°/ que les litiges relatifs aux contrats portant occupation du domaine public relèvent de la compétence des juridictions administratives ; que constitue une occupation du domaine public le simple fait d'utiliser de manière privative une dépendance du domaine public comportant emprise dans son sous-sol ; qu'en se reconnaissant compétente pour connaître de la validité des conventions dites d'enfouissement des lignes aériennes conclues entre France Télécom et les communes de Vesancy le 8 juillet 1998, Giron le 5 août 1998, Lhôpital le 22 décembre 1999 et Crozet le 5 janvier 2001, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;

2°/ que les ouvrages et infrastructures de génie civil réalisées par les communes aux fins d'établissement de réseaux de communications sont des biens appartenant à une personne publique, affectés matériellement à l'utilité publique, par affectation à un service public, cette affectation résultant de l'aménagement spécial du bien au service public communal des communications ; qu'en retenant que les conventions en cause ne permettent pas de constater l'existence d'un aménagement spécial des parcelles des communes de sorte que manque le critère de domanialité publique, quand la question n'était pas de déterminer si les parcelles de terrain dans laquelle les fourreaux et chambres de tirage étaient implantés avait fait l'objet d'un aménagement spécial, mais si ces infrastructures de génie civil ne relevaient pas du domaine public communal des télécommunications en raison de leurs aménagements spéciaux pour le service public des communications, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, et ainsi privé de motif sa décision en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que les infrastructures passives constituées par les fourreaux et chambres de tirage ont été financées et construites par les communes et étaient leur propriété puisque les conventions discutées ont justement eu pour objet de transférer cette propriété à France Télécom ; que ces infrastructures sont affectées au service public ou service universel de télécommunications, et ont été spécialement aménagées pour permettre l'exécution de ce service universel d'intérêt général ; qu'ainsi la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;

4°/ que les conventions litigieuses sont toutes postérieures au 31 décembre 1996, et ne constituent nullement de permissions de voirie, la société France Télécom n'ayant plus alors la qualité d'exploitant public ; qu'en conséquence les infrastructures de génie civil, fourreaux et chambres de tirage construits dans le cadre de ces conventions ne font pas partie des biens transférés de plein droit et en pleine propriété à la société France Télécom et France Télécom ne saurait se prévaloir d'une « appropriation privative » de ces infrastructures ; qu'en retenant que France Télécom bénéficie d'un droit d'appropriation privative sur les installations en cause en tant que permissionnaire de voirie, la cour d'appel a violé les articles L. 45-1, L. 46 et L. 47 du code des postes et des communications électroniques ;

5°/ qu'il résulte des termes clairs et précis des conventions qu'elles ont pour objet, à Vesancy « La commune prend à sa charge le coût de la main-d¿oeuvre des travaux de génie civil (hors construction des chambres)¿ », à Giron « La commune prend à sa charge le coût de la main-d¿oeuvre des travaux de génie civil (hors construction des chambres)¿ », à Lhôpital « La commune de Lhôpital prend à sa charge le coût de la main-d¿oeuvre des travaux de génie civil comprenant les terrassements, les remblayages ainsi que la pose des conduites et des chambres¿. », à Crozet, « La commune de Crozet prend à sa charge le coût de la main-d¿oeuvre des travaux de génie civil comprenant les terrassements, les remblayages ainsi que la pose des conduites et des chambres¿. » ; qu'ainsi, en énonçant que ces conventions n'avaient pas pour objet la création d'infrastructures par les collectivités la cour d'appel a dénaturé les conventions en violation de l'article 1134 du code civil ;

6°/ que rien n'interdisait même avant la loi du 17 juillet 2001, à des collectivités de financer et réaliser des infrastructures d'accueil de réseaux de communications, pour les mettre ensuite à disposition d'opérateurs, avant qu'elles ne puissent devenir elle-même opérateurs ; qu'en l'espèce, le SIEA avait fait valoir que les infrastructures passives constituées par les fourreaux et chambres de tirage avaient été financées et construites par les communes et étaient leur propriété puisque les conventions discutées prévoyaient justement un transfert de propriété au profit de France Télécom ; qu'en retenant que France Télécom bénéficie d'un droit d'appropriation privative sur les installations en cause en tant que permissionnaire de voirie, la cour d'appel a violé les articles L. 45-1, L. 46 et L. 47 du code des postes et des communications électroniques ;

7°/ que le juge judiciaire doit surseoir à statuer et poser une question préjudicielle lorsqu'une difficulté sérieuse relative à la légalité d'un acte administratif lui est posée ; que le domaine public est incessible et imprescriptible, de sorte qu'une convention portant cession d'une de ses dépendances est en principe illégale ; qu'en se bornant à relever que la société France Télécom se fondait sur des conventions lui transférant la propriété des infrastructures litigieuses, sans se prononcer sur la question de savoir si l'appréciation de la légalité de ces conventions devait être renvoyée au juge administratif, dès lors qu'il était soutenu qu'elles emportaient cession du domaine public, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 49 et 378 du code de procédure civile et L. 1311-1 du code général des collectivités territoriales ;

8°/ que pour les installations établies par France Télécom sur le domaine routier avant le 1er juin 1997, le SIEA avait fait valoir dans ses conclusions que l'article 3 du décret n° 97-683 du 30 mai 1997 impartissait à cette entreprise un délai jusqu'au 1er janvier 1998 pour en procéder à la déclaration aux autorités gestionnaires du domaine routier, cette déclaration valant titre d'occupation du domaine public et servant de base au calcul de la redevance due à la collectivité concernée ; qu'à ce titre les défendeurs faisaient valoir que France Télécom ne produisait aucune déclaration, était donc un occupant sans titre, et que par application de la théorie de l'accessoire, les biens construits par un occupant sans titre sur le domaine public sont de la propriété de la personne publique ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions, la cour d'appel a privé de motifs sa décision en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 avait transféré, après déclassement, à la société France Télécom l'ensemble du patrimoine de l'ancienne personne morale de droit public éponyme, les juges du fond ont retenu à bon droit, sans avoir commis la dénaturation alléguée, que la société Orange était propriétaire des installations de communications électroniques réalisées sur le territoire des communes de Giron, Vesancy, Lhôpital et Crozet en vertu des conventions litigieuses, celles-ci ayant seulement pour objet l'enfouissement des infrastructures aériennes implantées, avant juillet 1996, sur le domaine public desdites communes et appartenant, comme telles, à la société France télécom, et non la création d'infrastructures nouvelles ; qu'ils en ont exactement déduit que la question de la légalité de ces conventions ne présentait pas un caractère sérieux, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de saisir par voie préjudicielle la juridiction administrative ;

Et attendu, d'autre part, que la cour d'appel a retenu, par motifs propres et adoptés, que les infrastructures souterraines situées sur le territoire des communes de Divonne-les-Bains et Gex avaient été construites antérieurement à 1996 et, partant, intégrées au patrimoine de la société France Télécom par l'effet de la loi précitée ; qu'elle a ainsi répondu aux conclusions prétendument omises, aux termes desquelles il était seulement soutenu que ces installations avaient été édifiées sur le domaine public sans autorisation ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en ses deuxième, quatrième et sixième branches qui critiquent des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne le Syndicat intercommunal d'énergie et de e-communication de l'Ain et les communes de Crozet, Divonne-les-Bains, Gex, Giron, Lhôpital et Vesancy aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;


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