lundi 12 mai 2014

L'huissier de justice ne peut procéder qu'à des constatations purement matérielles

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 20 mars 2014
N° de pourvoi: 12-18.518
Publié au bulletin Rejet

M. Gridel (conseiller doyen faisant fonction de président), président
Me Bertrand, SCP Gadiou et Chevallier, SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat(s)


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Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 février 2012), que les sociétés Tod's Spa et Tod's France (les sociétés Tod's) estimant qu'un modèle de ballerines commercialisé par les sociétés François Pinet et Orphée Club reproduisait les caractéristiques d'un modèle dénommé « Dee Fibbietta » sur lequel la société Tod's Spa déclarait détenir des droits d'auteur, ont, après avoir fait procéder à des opérations de saisie-contrefaçon et de constat d'achat, assigné en contrefaçon et en concurrence déloyale les sociétés Pinet et Orphée Club ainsi que leur fournisseur, la société Santiago Pons Quintana ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les sociétés Tod's font grief à l'arrêt d'annuler le procès verbal de constat des 15 et 21 juillet 2008 réalisé sur le site internet de la société Etablissement Jef, alors, selon le moyen, que les huissiers de justice peuvent, à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, et notamment constater la possibilité, à partir d'un site Internet, d'acheter et de se faire livrer un produit, dès lors qu'ils s'identifient et font état de leur qualité d'huissier de justice auprès de l'exploitant du site Internet et s'abstiennent de toute manoeuvre déloyale ; qu'en retenant, au contraire, qu'en procédant à l'ouverture d'un compte client et à l'acquisition d'un produit, l'huissier instrumentaire aurait outrepassé les limites d'un simple constat, tout en constatant qu'il s'était identifié et avait mentionné sa qualité d'huissier de justice, la cour d'appel a violé l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 portant statut des huissiers de justice ;

Mais attendu que la cour d'appel ayant relevé que l'huissier de justice s'était engagé activement dans une démarche matérialisée par l'ouverture d'un compte client et par l'acquisition du produit litigieux pour en obtenir la livraison et qu'il n'avait été satisfait à sa demande qu'à la faveur d'un traitement automatisé, en a exactement déduit qu'il ne s'était pas borné à des constatations purement matérielles et qu'il avait outrepassé les pouvoirs qu'il détenait du texte précité ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que les sociétés Tod's font grief à l'arrêt de retenir que le modèle de chaussures « Dee Fibbietta » ne peut bénéficier de la protection du droit d'auteur et, en conséquence, de les débouter de leurs demandes formées au titre de la contrefaçon, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en affirmant qu'« à s'en tenir aux écritures des sociétés Tod's », les caractéristiques de l'empiècement formant l'emboîtage du modèle Dee Fibbietta devraient être considérées comme relevant d'un « choix technique », cependant que, bien loin de soutenir que le choix de ce double empiècement serait dicté par des considérations techniques, les sociétés Tod's indiquaient, dans leurs conclusions d'appel, qu'elles avaient entendu accorder une prépondérance à cet empiècement arrière, partie délaissée des chausseurs, qu'ainsi, l'emboitage prenait une place considérable dans la physionomie générale de la chaussure, renversant les proportions habituelles que l'on retrouve sur les modèles de ballerines, et qu'il en résultait que cette caractéristique traduisait uniquement un parti pris esthétique et un choix arbitraire de Tod's et non un choix technique, la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel des sociétés Tod's, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

2°/ qu'il appartient aux juges du fond de se livrer à une appréciation personnelle et concrète de l'originalité d'une oeuvre de l'esprit, en recherchant par eux-mêmes si les caractéristiques de celle-ci résultent d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en relevant que les sociétés Tod's auraient laissé entendre que la caractéristique relative à la présence d'un emboitage constitué de deux formes identiques superposées se distinguant par leur taille n'était pas au fondement de l'originalité de leur modèle, en soutenant que le modèle argué de contrefaçon, qui ne comporte pas deux pièces superposées de tailles différentes, constituait la contrefaçon du modèle Dee Fibbietta, sans rechercher elle-même si le choix d'une telle caractéristique ne traduisait pas un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle ;

3°/ qu'une combinaison d'éléments banals ou fonctionnels peut, en elle-même, présenter un caractère original si une telle combinaison résulte d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que chacun des éléments composant le modèle Dee Fibbietta n'était pas, en lui-même, protégeable, la cour d'appel a retenu « qu'il suit qu'à juste titre », le tribunal avait dénié toute originalité à ce modèle ; qu'en se bornant à déduire l'absence d'originalité du modèle Dee Fibbietta de l'absence de caractère protégeable des éléments qui le composent, sans justifier en quoi le choix de combiner ensemble ces différents éléments selon une certaine présentation serait dépourvu d'originalité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle ;

4°/ que constitue une oeuvre originale protégeable toute création témoignant d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en se fondant, pour dénier toute originalité au modèle Dee Fibbietta, sur le fait que « l'aspect d'ensemble » du modèle Santiago Pons Quintana de 1999, d'une part, et du modèle Dee Fibbietta, d'autre part, conférait à ces modèles une « physionomie semblable » et sur le fait que certaines des caractéristiques de ces deux modèles produisaient un « effet visuel » similaire, la cour d'appel a fait application d'un critère inopérant pour l'appréciation de l'originalité de la ballerine Dee Fibbietta et a ainsi violé l'article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que la cour d'appel a constaté que le modèle Santiago Pons Quintana qui avait été commercialisé avant la date à laquelle la société Tod's Spa faisait remonter les droits qu'elle revendique sur le modèle Dee Fibbietta, présentait la combinaison de l'essentiel des caractéristiques de ce dernier ; qu'elle a souverainement estimé que l'ajout de semelles à picots qui s'inscrivait dans une tendance de la mode était insuffisant pour témoigner de l'empreinte de la personnalité de son auteur et que le modèle revendiqué n'était dès lors pas éligible à la protection conférée par le droit d'auteur ; que le moyen inopérant en ses première et quatrième branches pour s'attaquer à des motifs surabondants, manque en fait en ses autres branches ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que les sociétés Tod's font en outre reproche à la cour d'appel de les avoir déboutées de leurs demandes formées au titre de la concurrence déloyale, alors, selon le moyen :

1°/ que la cassation de l'arrêt à intervenir sur le fondement du premier moyen entraînera, par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt en ce qu'il a débouté les sociétés Tod's Spa et Tod's France de leur action en concurrence déloyale, et ce par application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en se bornant, pour écarter les demandes des sociétés Tod's Spa et Tod's France pour concurrence déloyale et parasitisme, à affirmer que « les seules ressemblances » entre le modèle Dee Fibbietta et le modèle incriminé tiendraient à une « communauté de genre », sans autre précision et notamment sans indiquer à quelles ressemblances elle faisait ainsi référence, ni en quoi celles-ci relèveraient d'une « communauté de genre » ni de quel « genre » il est question, la cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motivation, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que l'exercice d'une action pour parasitisme ou concurrence parasitaire n'est pas subordonné à une absence de situation de concurrence entre les parties ; qu'en retenant, pour écarter l'action des sociétés Tod's Spa et Tod's France pour parasitisme, que les sociétés se trouvaient en situation de concurrence, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a rejeté la demande formée au titre d'une concurrence déloyale, après avoir examiné la qualité des ballerines incriminées, leur prix ainsi que les codes couleurs sous lesquels elles étaient présentées ;

Que, d'autre part, ayant souverainement estimé que la preuve de la recherche d'une économie au détriment d'un concurrent, par reprise de savoir-faire, de notoriété ou des fruits d''investissements, n'était pas rapportée, la cour d ¿appel en a exactement déduit que la demande formée au titre du parasitisme n'était pas fondée ;

Que le moyen qui manque en fait en sa première branche dès lors que le premier moyen est rejeté, est mal fondé pour le surplus ;

Et attendu que par suite du rejet du pourvoi principal, le pouvoir incident éventuel est devenu sans objet ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi principal ;

Dit n'y avoir lieu à statuer sur le pourvoi incident ;

Condamne les sociétés Tod's aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des sociétés Tod's ; les condamne à verser aux sociétés François Pinet, Orphée Club et Etablissements Jef la somme globale de 3 000 euros et la même somme à la société Santiago Pons Quintana ;


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